La narration orale: surmonter les difficultés

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Princess in the Forest, par John Bauer pour Bland Tomtar och Troll

A lire Charlotte Mason et d’autres livres et articles sur sa méthode, la narration est un exercice certes exigeant, mais aussi naturel et plaisant pour un enfant. Je veux bien le croire, mais je vous avoue que ce n’ai pas l’expérience que j’en ai fait avec mon fils: chez nous cet exercice qui paraît pourtant anodin, est source de rejet, crises de nerfs et oppositions en tout genres. Pendant très longtemps, mon fils a tout simplement détesté la narration. Il a fallu plus d’un an d’entrainement, de patience, de persévérance et d’ajustements pour que la tendance commence à s’inverser…

Alors, que faire face un enfant rétif ou carrément hermétique à la narration? Je souhaite  proposer ici quelques pistes de réflexions pour ceux qui, comme nous, peinent à apprendre cet art.

Mais à quoi ça sert?

Cette question, ainsi que « mais tu viens de me lire ce qu’il y a dans ce livre, pourquoi je dois te le redire? » sont les arguments que mon fiston me lance le plus souvent. Oui, car il n’aime pas faire des choses qui n’ont pas de sens pour lui.  Alors, à quoi ça sert la narration?

Il ne s’agit en aucun cas d’un travail de mémorisation, mais d’un acte « d’appropriation de connaissances ». Mason comparait la narration à une corde que l’on remonte du fond d’un puits. L’enfant doit chercher loin on fond du puits les informations pour les faire siennes. Il aura alors à les classifier, analyser, visualiser, discriminer et assimiler en les remontant à la surface, afin de pouvoir rendre un discours cohérent. La narration c’est l’art de retransmettre par ses propres mots ce qui a été entendu, une sorte de traduction de l’intellect à lui même. Par la narration, ce qui a été lu devient une partie intégrante de notre expérience personnelle.

Alors si vous avez comme moi un petit qui questionne tout et a besoin de comprendre le sens de ce qu’on lui demande, il peut être utile de trouver les mots (ou les images mentales) pour lui expliquer ce mécanisme, le travail qu’effectue son cerveau pour apprendre.

Mettre l’enfant en valeur

Certains enfants qui manquent de confiance en eux peuvent se sentir mis sur la sellette quand on leur demande de faire une narration. C’était le cas de mon fils qui pensait à chaque fois que je mettais en doute ses capacités intellectuelles… Il s’embrouillait l’esprit par peur de mal faire ou par incompréhension. Il faut alors faire preuve de patience et de bienveillance! Il est très tentant de vouloir l’aider en intervenant pour lui donner des indices ou de le cajoler, mais ce n’est pas lui rendre service.

On peut en revanche donner l’exemple d’une narration en s’y collant soit même. C’est ce que j’ai fait plusieurs fois, en lui demandant ensuite s’il avait quelque chose à ajouter, compléter ou pourquoi pas corriger. Cela a aidé à le mettre en confiance.

Je ne prêtais pas trop attention à sa posture au début, c’est un enfant qui gigote et qui à besoin de bouger pour penser, alors je le laissais faire. Mais j’ai vite remarqué qu’en fait ça ne l’aidait pas car il finissait par se distraire lui-même. Depuis, nous avons transformé le moment de la narration en spectacle: moi et ma fille assises sur le canapé, lui debout pour nous faire son récit, avec compliments et applaudissements à la fin. Ca leur plait à tout les deux!

Un autre point crucial de la narration est de laisser l’enfant faire à sa façon, sans intervenir ou vouloir diriger la tournure de ses idées ou paroles. Il peut retransmettre que ce qu’il a comprit et assimilé à SA manière. Mason comparait ce un processus à celui de la digestion, une « digestion mentale » dont il ne faut pas se mêler.  C’est difficile pour l’adulte, oui. Mais un enfant ainsi respecté et encouragé prendra confiance en lui et en ses capacités.

Le choix du livre

J’en ai déjà parlé, mais le choix du livre est primordial pour une leçon. Le livre que vous lisez à votre enfant a beau figurer sur toutes les listes de livings books que vous consultez, s’il ne « parle » pas à votre enfant c’est peine perdue. Il faut que le récit du livre fasse jaillir des images mentales dans l’esprit de l’enfant, que les personnages prennent vie dans son imaginaire et qu’ils provoquent des émotions en lui. Si ces conditions sont réunies, l’enfant prend naturellement du plaisir à partager ce qui le passionne et le touche et il se mettra à faire de belles narrations.

L’ouvrage doit être intellectuellement stimulant pour l’enfant, mais pas trop compliqué afin de ne pas le frustrer non plus…

On se rend assez vite compte si le livre que l’on a choisi convient ou pas à l’enfant. C’est celui qui le fait accourir avec le sourire tout de suite quand vous le prenez en main, duquel il réclame toujours un chapitre supplémentaire et qui lui donne des petites étincelles dans les yeux.  C’est ce livre là qui vous encouragera à persévérer avec cette pratique car il vous révélera toute l’efficacité de la narration!

Patience et persévérance 

Car oui, un jour votre enfant de sept ans et demi vous fera une narration qui vous scotchera en faisant un rapprochement argumenté de La Naissance de Vénus peint par Botticelli, qu’il a vu quelques mois auparavant, avec le récit de la naissance d’Aphrodite que vous venez de lui lire, sans la moindre intervention de votre part! C’est à ce moment magique que l’on prend véritablement conscience de la « science des relations » dont Mason parle: ces liens que l’on recherche à faire tisser à l’enfant entre tout ce qu’il apprend et vit. Mais pour certains enfants, il faut pour cela faire preuve de beaucoup de patience et de persévérance…

Alors à moins que vous aillez un orateur né chez vous, ne vous attendez pas à des grands discours tout de suite. Surtout avec un enfant rétif qui vous servira qu’une phrase sur un ton boudeur pendant des mois… Pour commencer, il aura peut être aussi beaucoup tendance à juste paraphraser. Mais avec le temps ses narrations s’étofferons et deviendrons de plus en plus intéressantes.

Être préparé

Pour aider un narrateur qui peine, il faut être préparé en amont. J’en ai déjà parlé dans mon billet sur les étapes d’une leçon Charlotte Mason ici. Idéalement, il faut avoir lu le passage en question préalablement pour repérer quelques mots clés comme des noms propres, des lieux, etc. qui serviront de « points d’encrage » à l’enfant. C’est particulièrement utile pour les enfants qui ont des problèmes d’attention. Une petite révision des épisodes lu précédemment ou une remise en contexte sont également utiles.

Faire face au refus 

Mon fils peut être très obstiné et les périodes ou il ne veut pas travailler sont franchement harassantes pour moi. Personnellement, j’ai tendance à sombrer dans le désespoir, puis la colère, puis je frôle l’abandon avant de me ressaisir… Aussi je ne veut pas m’engager dans un bras de fer perpétuel qui, de toute façon, nous amène jamais à rien de bien bon. Il m’a donc fallu trouver d’autres astuces!

Je crois que j’ai tout d’abord dû apprendre à prendre plus de recul pour rester plus calme. Car la tendance à obtempérer de mes enfants est proportionnelle à ma capacité à me montrer impassible et zen. Donc, (dans un bon jour) je réagit beaucoup mieux qu’avant…

Dans la limite du possible, j’essaye de respecter tous les points que j’ai énuméré jusqu’ici pour que la narration se déroule dans les meilleurs conditions.  Mais si malgré tout mon enfant réagit négativement à ma demande de faire une narration, je m’assure tout d’abord que sa rétissence n’est pas dû à un manque de compréhension de sa part. Si c’est le cas je m’efforce de l’aider sans lui prémâcher le travail. Dans le cas contraire j’insiste, mais si je vois qu’une confrontation se profile, je lui change les idées en passant immédiatement à une autre activité complètement différente, tout en lui précisant que nous reviendrons à la narration plus tard. C’est généralement très efficace et évite toute confrontation.

Dans les rares cas où son refus est dû tout simplement à de la mauvaise volonté de sa part, j’applique ce que Mason appelait une « conséquence naturelle » à ses actes. Je lui explique calmement mais fermement que son comportement nous fais perdre du temps et que par conséquent, il devra refaire ou continuer son travail pendant son temps libre de la journée. Sur le moment il proteste et râle toujours, certes, mais il honore et accepte toujours cette contrainte.

Et vous, pratiquez-vous la narration avec vos enfants? Comment surmontez-vous d’éventuelles difficultés?

Pour en savoir plus:

Un excellent podcast avec de nombreux liens vers d’autres articles (en anglais) : All about narration: a conversation with Sonya Shafer

Petits Homeschoolers: Quels supports pour la narration?

Chroniques du Poulailler: La narration orale

3 réflexions sur “La narration orale: surmonter les difficultés

  1. Moi j’ai du bol j’ai un club de pipelettes qui aiment tous les livres et faire la narration d’elle-même. Un besoin permanent de cogiter le chapitre lu. C’est moi qui finirai par avoir la mine boudeuse tellement je souhaite passer à autre chose. Par contre mon aîné 10ans a beaucoup de mal à répondre aux questions qui se rapporte à tout ce qui est implicite dans le texte. J’ai bon espoir qu’à force les choses évoluent.

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    1. Oui, je pense que ça dépend du tempérament de chaque enfant… Les miens adorent aussi les livres sous toutes leurs formes. Les regarder ou les lire est l’activité qu’il font le plus dans la journée, mais c’est plus lors des leçons que ça coince pour mon fils…

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