Si mes enfants devaient aller à l’école…

Monsieur le Président de la République,

Monsieur le ministre de l’Education nationale,

Ce petit garçon souriant et insouciant sur la photo est mon fils, Louis, à l’âge de trois ans et demi. Il est l’un de ces 50 000 enfants « hors système » c’est à dire non-scolarisés que vous souhaiteriez remettre à l’école de force dès la rentrée 2021.

C’était la veille de son entrée en maternelle. En feuilletant les albums photos précédents cette date, on est frappé par sa petite bouille gaie en permanence. On lui avait fait miroiter des tas de merveilles de cette école, il était impatient d’y aller. Nous l’avons emmené ensemble son père et moi le jour de la première rentrée. Il nous faisait confiance, et nous faisions confiance au « système ». Nous étions loin de nous imaginer que nous allions lui faire vivre une expérience traumatisante.

Deux ans dans ce « système » se sont soldés par une grave détérioration de l’état psychique et physique de notre enfant, jusqu’à la dépression enfantine et un début de phobie scolaire. Notre petit garçon s’était complètement éteint. Je n’aurais jamais imaginé qu’un enfant si jeune puisse aller aussi mal, jusqu’à dire qu’il préférait être mort que d’aller à l’école. Oh, il n’a pas fait de vague, non, non, c’est en silence qu’il vivait sa souffrance, il était toujours le petit garçon sage et obéissant qu’il avait toujours été. C’est surement une des raisons pour lesquelles sa prise en charge fut si longue à venir…

Mais même une fois son mal-être connu, cette prise en charge n’est pas venue du « système », que nenni! Il a fallu que je me fâche réellement, que le médecin nous ordonne une période de repos total et que je vienne un jour physiquement enlever mon fils de sa classe. Contrairement à la direction, sa maîtresse d’école ne m’a pas retenue. Elle gérait tant bien que mal une classe de 29 (!) élèves de 5 ans, avec l’appuis d’une ATSEM pour trois classes. Non, elle l’a laissé partir. Lors des aurevoirs, elle m’a confié qu’elle estimait qu’un petit tiers, oui, un tiers de ses élèves rentreraient dans le moule de l’EN. Quid des deux autres tiers, je vous le demande?!

Je m’en suis longtemps voulue de ne pas avoir su voir la détresse de mon enfant à temps, j’ai eu la rage contre le « système » qui a complètement failli, à son indifférence face à la souffrance d’un enfant dont il avait la charge. Alors Mr Blanquer, quand je vous entend proclamer que l’école de la République est « bonne pour tous les enfants », j’ai la colère qui monte en moi!

Au moment de la déscolarisation, nous ignorions que l’IEF (instruction en famille) était légale en France, et nous pensions qu’il nous faudrait remettre notre fils à l’école pour le CP. Il a été diagnostiqué à haut potentiel intellectuel et avec un trouble majeur de l’attention. Nous sommes tombés des nues. Puis on nous a prédit qu’il lui faudrait un suivit psychiatrique et une prise de ritaline le jour où il retournerait en classe.

Le salut est venu le jour où nous avons découvert la possibilité d’instruire notre enfant nous même, au sein de notre famille! C’était il y a sept ans.

Aujourd’hui Louis est un garçon apaisé, de bientôt treize ans. Lecteur avide, il se passionne pour la biodiversité, les sciences naturelles, et aimerait étudier l’herpétologie. Son souhait est de faire le collège à la maison avant d’intégrer un lycée pour passer son bac. Il joue dans un ensemble à cordes, pratique le tennis et l’aviron. Ses camarades rameurs le surnomment affectueusement « Kirikou » tant il se distingue par sa vaillance et sa bonté. Mais il reste brisé, et n’est plus jamais redevenu l’enfant gai qu’il était avant…

Des enfants « neuro-atypiques » comme Louis, nous en avons rencontré beaucoup en IEF. Il n’est pas une exception. Ces enfants là ne rentreront pas dans le « moule », quoique vous vouliez faire croire au grand publique. Ils ont sans cesse besoin d’être « nourri intellectuellement », canalisés, orientés, soutenus. J’imagine qu’ils ne rentrent pas dans le cadre des enfants « malades » qui auront droit à des dérogations sous votre nouveau régime. Et quand bien même, connaissez-vous le parcours de combattant qu’est une démarche à la MDPH? Il y a de quoi être découragé d’avance… Dites nous messieurs,  pouvez-vous nous garantir que ces enfants « hors normes » seront accueillis dans les conditions dignes et respectueuses qu’ils méritent? Permettez-moi d’en douter.

Nous, parents instructeurs, assumons nos enfants sur tous les points, y compris financiers. Nos impôts payent les écoles de la République et les professeurs des élèves scolarisés. Nous ne recevons pour cela aucune aide financière, pas même la prime de rentrée scolaire. Si notre fils devait retourner à l’école à la rentrée prochaine tel que vous le prévoyez, Messieurs, sachez qu’à défaut de lui administrer de puissant psychostimulants, il lui faudra certainement une AVS, voir d’autres aménagements. Etes-vous prêts à en prendre la charge? Où sont vos preuves (étayées et fondées!) qu’une scolarisation serait bénéfique pour un enfant dans son cas? Je vous met au défit de me les apporter.

Louis a une petite soeur, Rose, huit ans, qui n’a pas connu l’école. C’est un rayon de soleil, une petite boule d’énergie, violoniste et créative, avec une joie de vivre sans égale. Elle fait preuve d’une très grande détermination et s’imagine bien ne jamais aller à l’école, faire « plus tard » un « métier créatif » et souhaite devenir maman de cinq enfants. Oui, oui, tout un programme… Mais avant cela, elle veut représenter la France aux JO. Sa discipline? Le patinage artistique. Pour cela elle s’entraîne plusieurs fois par jours, sans relâche. 

Si Rose devait être scolarisée tout en poursuivant son sport, elle dépendrait d’une structure « unique en France » et bénéficierait d’une place dans une classe à « horaires aménagés ». Mais c’est parfait me direz-vous! Pourquoi donc tous ces guillemets agacés? Vous connaissez la vie des petits sportifs de haut niveau scolarisés de huit ans? Non? Je vous raconte: réveil 5h45, entraînement sur glace et hors glace de 7h à 8h20. Ecole à 8h30. Deuxième entraînement à 11h30, avec 10-15min pour manger sur le pouce, dans les vestiaires. Retour à l’école 13h20 jusqu’à 15h20. Troisième série d’entraînements enchainés jusqu’à 17h. Devoirs, douche, repas, dodo. Compétitions les weekends, entraînements intensifs pendant les vacances scolaires. C’est une vie d’enfant ça? Ces enfants ont une passion pour leur sport et une discipline qui force l’admiration, mais au nom du tout scolaire, on leur impose un rythme infernal que très peu tiennent sur la longueur. En faisant l’école à la maison, ma fille bénéficie d’un cadre de vie lui permettant de s’épanouir dans plus d’un domaine.

Pour notre famille, l’IEF s’est imposée de façon inopinée. Je l’ai d’abord vécu comme un sacrifice personnel car ce choix induit beaucoup d’abnégation. Mais avec le temps, c’est devenu un vrai projet de vie familial. Nos dadas à nous? Cultiver un grand potager, élever des poules, et parcourir les routes de France à vélos. Notre plus grand périple en date, nous a mené de la Savoie jusqu’aux plages de la Méditerranée, tout en longeant le Rhône. C’était dur physiquement et mentalement, mais que nous étions fiers et unis à l’arrivée! Nous sommes persuadés que ces souvenirs d’enfance inoubliables forgent et marquent nos enfants bien plus que des bons bulletins scolaires.

Vous n’êtes pas sans savoir que le dispositif de l’IEF est encadré par des gardes-fous. Des lois qui nous font encourir de lourdes peines en cas de non respect, des contrôles par les services de l’Education Nationale, et par la Mairie de notre lieu d’habitation. Aussi ce sont les rapports rédigés suites à ces contrôles qui valident ou sanctionnent l’instruction que nous dispensons. A ce jour, vous n’avez pas su apporter les preuves chiffrées d’un manquement massif à ces obligations auxquelles se soumettent les familles instruisant leurs enfants. Raison de plus pour laquelle je trouve inadmissible d’être bêtement jetée dans le même sac qu’une infime minorité de parents défectueux, au nom de la lutte contre quelques « séparatistes ». 

Nous entretenons des rapports cordiaux et respectueux avec les agents de la fonction publique que nous accueillons chez nous. Ces rendez-vous annuels sont d’ailleurs très attendu par mes enfants qui y voient une sorte de validation de leurs efforts. Nous sommes loins d’être des marginaux, nous exerçons simplement notre droit constitutionnel dans le souci de l’épanouissement de nos enfants. Ce n’est pas un choix de vie anodin, mais nous l’assumons avec conviction.

Et de grâce, arrêter la « com » alarmiste! S’il y a eu une augmentation « significative » des enfants déclarés en IEF ces dernières années, elle est en corrélation avec la promulgation de l’obligation de l’instruction dès l’âge de 3 ans. Ce ne sont pas des hordes de futurs jihadistes qui se sont déclarées, non simplement des parents soucieux d’offrir une éducation différente à leurs enfants. C’est un choix réfléchit et non anti-républicain. Et cessez donc de parler de votre projet de loi à l’affirmative, avant même de l’avoir présenté au conseil des ministres!

Messieurs, je me doute bien que mon témoignage sur ce que peut être l’IEF et les chemins qui y mènent vous importera peu, soit. C’est une pratique peu connue et bien trop souvent mal comprise des politiques comme de l’opinion publique. Et pourtant, c’est un droit pour tout un chacun, et tout un chacun pourrait un jour avoir besoin d’y avoir recours, par choix, ou désespoir de cause. C’est donc un droit qui mérite d’être reconnu et défendu!

Rose est une petite soeur très protectrice, elle est inquiète pour son frère et me demande tous les jours les raisons pour lesquelles « on » les forcerait d’intégrer l’école. Franchement, je manque d’arguments convainquant…

14 réflexions sur “Si mes enfants devaient aller à l’école…

  1. Mes larmes coulent en lisant ce texte si explicite !bravo et merci ! mes enfants a moi ont 8 ans et 4 ans! Mon ainé a fait toute sa maternelle et il ne veut surtout pas retourner en milieu scolaire ou il s’ennuit profondement! On est si bien dans notre notre instruction en famille! mes enfants s’adapteraient sans doute a la vie a l’école si on le décidait! mais j’ai le cœur en miette pour tous ces petits loulous pour qui le système n’est pas adapté du tout! tout plein de courage,on se soutient et on ne cédera pas!

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  2. Bonjour Sarah, je nous reconnais beaucoup dans votre parcours. J’espère que vous allez envoyer cette lettre directement à Matignon, elle est d’une force incroyable. Passez une belle journée,
    Maeva

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  3. Bonjour Sara,
    Ton texte est vraiment fort et touchant.
    J’ai constaté les mêmes effets délétères de l’école sur mon grand garçon.
    Son frère, c’est l’école qui n’en veut pas.
    Ma fille rentre dans le moule, en apparence, bonne élève, comportement irréprochable… Mais elle pleure tous les lundis matins : « l’école, ça vole la vie des enfants! ». Tu sais pourquoi elle n’est pas en IEF, même si ’aimerais qu’elle le soit. (Elle aussi, d’ailleurs !)
    Pétition signée, et j’irai manifester si besoin.
    J’espère sincèrement que Rose, Louis, Paul et les autres garderont cette liberté. Je vous embrasse.

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  4. Merci pour ce message dans le quel beaucoup se reconnaitront. Je vous encourage aussi à envoyer ce message à l’Elysée; nous devons garder courage et nous battre jusqu’au bout, c’est nos enfants donc c’est plus important que tout le reste…bravo et surtout force et courage à tous.

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  5. Bonjour Sara,
    C’est un témoignage très fort dans lequel j’ai reconnu ma fille, je comprends si bien ce que veut dire voir son enfant « s’éteindre », malheureusement.
    Je reste optimiste pour les familles françaises que je soutiens depuis l’autre côté de l’Atlantique. La corrélation d’évènements questionnables ne permettra pas au président de continuer bien longtemps les abus.
    Mes sincères sympathies

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    1. Merci pour ton soutien d’outre Atlantique Julie! J’espère de tout coeur comme toi que la situation va tourner en notre faveur. Mes enfants commencent déjà à se résigner…

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  6. Bonjour Sara,
    Je viens de lire ton témoignage, très touchant et percutant, dans lequel je me retrouve en de nombreux points. Nous devons continuer à résister, pour nos enfants. Ne pas baisser les bras ! Gardons courage, nous ne sommes pas seuls. Quand je vois toutes ces mères et tous ces pères qui lèvent leur voix pour leurs enfants, je me dis qu’il y a de l’espoir.
    Si tu es d’accord, j’aimerais partager ton article sur ma page Facebook.
    Avec toute mon admiration.

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  7. Bravo pour cette lettre, j’espère que vous l’avez envoyée. Nous avons vécu la même expérience en pire… Nous avons attendu 14 ans pour découvrir ce DROIT d’instruire nous même nos enfants !

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