Ni Louboutin, ni Jimmy Choo – ou merci mes enfants!

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Assise dans une salle d’attente, je feuillette les pages d’un magazine de presse feminine. Je m’arrête à un article intitulé « Une journée dans la vie de… ». En l’occurrence d’une femme d’affaire londonienne qui poursuit une carrière à succès, possède une maison en plein coeur de Kensington et mène une vie trépidante. Vraiment?

Ses journées commencent à 6h. Elle dit être chanceuse d’avoir une nounou à domicile qui s’occupe de ses deux filles de 6 et 8 ans dès leur réveil. Après s’être préparée, avoir choisi entre une paire de Louboutin et de Jimmy Choo, elle rejoint ses enfants à 8h pour un petit-déjeuner rapide. Puis elle les dépose à l’arrêt de bus en allant au travail.

Elle passera sa journée au bureau, présidant des réunions, s’arrêtant à peine pour déjeuner. Elle rentrera au plus tôt à 19h, et les rares fois où elle ne ressort pas pour honorer des engagements sociaux, elle commande des repas en kit qu’elle prépare à ses filles. Elle déplore n’avoir pas le temps de faire du sport et de passer plus de temps avec sa famille, ou son mari qui travail autant qu’elle…

Je ressens un petit pincement au coeur. La jeune femme que j’ai été aurait admiré, même envié certains aspects de la vie de cette femme. Son succès, sa carrière, sa situation financière, son assurance, sa « liberté »… ses chaussures! Mais me voilà, 15 plus tard, loin d’une citadine, mère au foyer, instruisant mes enfants selon les préceptes d’une enseignante britannique de l’époque victorienne, abonnée à une demi dizaine de chaînes youtube de homesteaders américains, élevant des poules, …

Si j’ai pu avoir des ambitions professionnelles, elles se sont effritées avec les naissances de mes enfants, et encore plus avec notre choix de pratiquer l’instruction en famille. Avec mon aîné, j’ai repris une activité professionnelle à temps partiel quand il eut quatre mois. Je le quittais à 6:30 en le confiant à son grand-père, qui l’emmenait chez sa nounou à 8 heures, où je le récupérais à 18 heures, après 50 km de route et de bouchons. Je tirais, transportais et stockais mon lait, afin que d’autres que moi puissent nourrir mon bébé. C’est un manège que j’ai été incapable de répéter avec la naissance de mon deuxième enfant…

Puis, quand il a « fallu » scolarisé mon aîné en maternelle, j’avais un gros gros doute sur l’utilité de cette démarche. Mais j’ai cédé face à la pression sociale. Deux ans et demi plus tard, nous avions le choix de le déscolarisé d’urgence, ou de le mettre sous antidépresseurs. Le choix fut vite fait! Et c’est ainsi que j’ai découvert l’existence de l’ief, mode de vie dont j’ignorais absolument tout.

Je ressens parfois encore une grande frustration quand je dois cocher la case « mère au foyer » ou « sans activité » sur un formulaire. Je ne me ferai probablement jamais au fait d’être financièrement entièrement dépendante de mon mari. Non, c’est loin d’être toujours facile de me réconcilier avec ce choix de vie. Voir l’évolution professionnelle de mes amies ou le succès d’anciennes camarades de fac, fait encore mal parfois, je ne vous le cache pas. Il y a des jours, où moi aussi je voudrais avoir une pause café avec des adultes, avoir des conversations intéressantes, avoir une vie plus mondaine sans l’incessant ballet de tâches ménagères…

Mais il y a aussi une petite voix en moi, qui me dit avec de plus en plus de conviction qu’au fond je me sens infiniment plus riche que cette femme: je suis riche en temps!

Je suis riche en temps de voir mes enfants grandir. De les voir gambader librement, jouer, inventer. De leur offrir une enfance douce. Je suis riche en temps à consacrer à ma famille, à prendre soin des personnes qui me sont les plus chères.

Je suis riche en temps de (re)découvrir le monde à travers leurs yeux. De (re)apprendre à leurs côtés. Oui, contrairement à ce que j’aurais cru, cette aventure est de plus en plus  stimulante intellectuellement! Je n’ai jamais autant appris. Avoir du temps, quel luxe!

Je me rend compte que je me sens bien plus à ma place ici, avec mes enfants, que dans un bureau de style parisien. Que bizarrement, malgré la responsabilité qui pèse sur mes épaules, je gère beaucoup mieux mon trouble anxieux depuis que je suis à la maison. Que je vais globalement beaucoup mieux.

Je ne convoite plus les tallons aiguilles, vive le confort de mes bottes en caoutchouc! Et quand j’ai un ras-le-bol de ma vie « ordinaire » qui se pointe, je mets une robe en soie, je déguste un bon café moka et je regarde mes enfants jouer avec délectation.

N.B. : S’il vous plait, ne voyez dans mon billet aucune critique envers les femmes qui mènent de front carrière et maternité! Il s’agit ici du récit de mon propre cheminement, rien de plus. A chacun son parcours.

12 réflexions sur “Ni Louboutin, ni Jimmy Choo – ou merci mes enfants!

  1. je ne connaissais même pas Lamboutin! en lisant le titre je pensais à des fruits exotiques.. Ramboutan et Jackfruit! bref je découvre aussi ton post « chère maman ief » c’est tellement bien dit. Je trouve que les deux se font parfaitement écho.
    Parfois je me sens tellement ingrate dans mes moments difficiles, alors que j’ai tout pour être heureuse et même encore plus, et puis je me dis que c’est aussi une partie de notre condition humaine, cette lassitude de tout même le plus merveilleux.

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  2. Dans une semaine, mon congé maternité pour ma troisième prend fin, et pour la première fois depuis mes 21 ans, je vais officiellement être sans emploi/mère au foyer/homeschooler à temps plein… ce billet arrive juste à temps, parce que oui, aucun regret!

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  3. J’aime beaucoup !
    Oui, il est parfois vraiment difficile de s’affranchir des canons de la réussite sociale pour oser trouver le chemin qui nous rend vraiment heureuse nous, même et surtout si c’est bonheur discret qui ne fera l’objet d’aucune couverture de magazine. Et qui brille moins qu’une paire d’escarpins.

    En ce qui me concerne, cela me donne en ce moment l’occasion de découvrir des chemins insoupçonnés, me permettant quand même, finalement, de concilier un peu les deux (euh, moins les Louboutins, quand même. Zut): me voici sur le point de pouvoir tout de même avoir un tout petit bout d’une vie pro intéressante en cumulant avec l’IEF!
    Joie de me frayer un chemin, sentiment un peu grisant de découvrir qu’en s’accrochant à ce qui compte vraiment à mes yeux, je peux même vivre les aventures d’une pionnière.
    Pionnière, nous le sommes toutes un peu, dès lors que nous osons tracer notre voie qui ne sera pareille à aucune autre, puisque nous ne sommes pareilles à aucune autre, et TANT QUE nous ne chercherons pas à être pareille à une autre…

    Merci encore pour ce beau billet.

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  4. Il n’y a pas plus grande richesse que le temps !

    Tu as eu raison de mettre entre guillemets la « liberté » de cette femme, car c’est effectivement l’image de la liberté qu’on veut nous imposer, alors qu’elle est totalement aliénée à son travail (quand voit-elle ses enfants ?!) et à la société de consommation (je n’avais jamais entendu parler de ces marques, lol).

    Perso, même si j’ai fait des études (bac+5), je n’ai jamais fantasmé sur une super carrière : pour moi il était évident que si j’avais des enfants, je resterai à la maison avec eux. Ça été le choix de ma mère et je lui en suis reconnaissante.
    Pourtant, moi aussi je fatigue un peu de mon quotidien parfois (surtout la valse des tâches ménagères : j’ai l’impression de ne faire que ça, et pourtant ça ne se voit pas dans la maison lol), mais je ne regrette pour rien au monde !!!

    Quant au fait d’être dépendante financièrement, c’est parfois frustrant, et ça l’est d’autant plus que la société nous le fait sentir. Une voisine à qui je venais de dire que j’avais un bac+5 m’a regardé avec des yeux ronds : « Mais pourquoi tu n’aides pas ton mari ? » ! J’étais vraiment choquée de la formulation ! Déjà, pour elle (et pour beaucoup malheureusement), une femme reste à la maison par défaut, parce qu’elle n’a pas le choix ou les capacités de faire autrement. Et surtout, aider ne peut s’entendre que par financièrement. C’est vraiment triste ! Je lui ai répondu que j’aidais mon mari en m’occupant de la maison et des enfants. C’est une complémentarité : chacun est utile à sa façon.
    Comment dit mon mari : il est le ministre des affaires extérieures et je suis le ministre de l’intérieur, lol.

    Mais cette vision moderne va bien au-delà des rôles hommes/femmes, elle en dit long sur la valeur que la société moderne accorde aux individus : en gros, si tu ne produis pas, que tu ne rapportes pas d’argent, tu es moins bien voire inutile. Donc on traite les enfants d’une mauvaise façon, les mamans au foyer encore plus mal, et ne parlons pas des personnes âgées ! Et on ne voit pas tout ce que ceux qui ne « rapportent » pas ont à nous apporter !!!

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  5. Bonjour,
    Merci pour ce beau témoignage, tu m’auras même appris ce qu’était Jimmy Choo and co.
    Ici c’est Mr qui fait IEF et donc moi qui poursuit mon travail. Il avait changé d’emploi quand on avait changé d’endroit, donc moins attaché au sien (et beaucoup plus patient lol !).
    Le mot « sans activité  » comme tu dis , il l’a vécu quand on est arrivé dans notre ville actuelle.Il était en intérim , et réponse dédaigneuse de l’employée de Mairie (vissée le cul sur sa chaise , et débordée dès qu’il y a 2 personnes) pour l’inscription de la Miss à l’époque scolarisée : « c’est tout ce que vous ramenez? »
    En attendant , il en est à la 2 ème année IEF et il aime beaucoup cela , ils ont faits de superbes sorties .Des souvenirs inoubliables !
    Martine42

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  6. Hallöchen,

    Deutsch ist ebenfalls meine Muttersprache!

    Je suis admirative de votre blog et écris ce commentaire en français, afin que d’autres puissent le comprendre également.

    La scolarisation de ma fille m’a amenée à me poser beaucoup de questions. D’abord en maternelle, car nous avions une maîtresse qui faisait des remarques négatives à propos du bilinguisme, alors que c’est assez courant dans la région frontalière qu’est l’ Alsace. Nous avons maintenant une maîtresse très bienveillante, adorable avec les enfants, mais la méthode de lecture (démarrage global) ne convenait pas à ma fille.

    Je me suis retrouvée à tout reprendre tous les soirs avec ma fille, avec d’autres méthodes d’apprentissage, en allemand et/ou en français. D’abord je cherchais des avis ou des ressources CP, puis j’ai eu cette prise de conscience, cette impression de faire „l’école à la maison“ : c’est si adapté à ma fille. Mais j’ai eu un besoin de me rassurer…
    Et de fil en aiguille, j’ai atterri sur les blogs d’ief.
    L’ief, Cela me laisse rêveuse, cela semble être une très belle expérience.

    La lecture de votre blogs et celui de vos collègues m’amène à porter un regard très positif sur l’ief, loin des clichés que j’ai pu en avoir lorsque j’étais jeune ou … lorsque je suis entrée dans l’éducation nationale. Je comprends les parents qui peuvent faire ce choix et je vous remercie de faire découvrir cette pratique à tous.

    Si pour moi, faire l’ief n’est pas à l’ordre du jour, découvrir cela par votre blog et celui de vos collègues m’a néanmoins apporté beaucoup, tant dans mon cheminement que dans ma réflexion personnelle. Et surtout, je ne culpabilise plus à l’idée d’être la „2ème maîtresse“ de ma fille.

    Nous en avons fait un moment d’échange privilégié, la « Mamas Schule » (l’école de maman). C’est notre moment à nous deux. Les devoirs ne sont plus une corvée car nous faisons d’autres choses, en fonction de ses besoins. J’ai cette possibilité car ma fille n’est qu’en CP. En 1 h à 1 h 30 par soir, en veillant à alterner les activités de manière structurées et ludique, nous avançons tellement vite. Parfois nous coupons au milieu des activités avec une pause jeu. La „Mamas Schule“ a lieu environ 4 / 5 fois par semaine (le week-end, je la laisse tranquille).
    C’est Mama qui lui a appris à lire en « Französisch », pas la méthode globale de l’école : ma fille lit l’allemand et le français couramment, challenge réussi en 4 à 5 mois. Et lit des textes avec un vocabulaire moins „gnangnan“ que ce qui est proposé à l’école.
    Enfin, ma fille se débrouille très bien en classe et a repris confiance en elle.

    Cette expérience de faire un peu d’école à la maison a radicalement changé mon regard sur l’ief et … eu un impact sur mes pratiques professionnelles d’enseignante.

    Merci à vous de nous faire découvrir votre univers.
    Et bravo à vous !

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