L’inactivité magistrale II: Le pêcher et la porteuse d’eau…

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Pour poursuivre ma série de billets sur le thème de l’inactivité magistrale, je me suis inspirée de deux métaphores que Mason emploie pour illustrer cet idéal vers lequel un parent devrait tendre selon elle. Elles m’ont beaucoup aidé à mieux comprendre ce concept et j’espère qu’elles seront aussi parlantes pour vous…

Le pêcher – ou de l’intérêt des bonnes habitudes 

Mettons un noyau de pêche en terre. Il germera, grandira rapidement et, deux étés plus tard, nous offrira ses premiers fruits. Mais tout au long de sa croissance, nous jardiniers, lui apportons engrais et soins, le protégeons du froid et des plantes envahissantes, l’arrosons, le taillons et le tuteurons. Mais ces interventions occupent qu’une petite fraction de l’existence du petit pêcher. Car le reste du temps nous laissons la nature, l’air, le soleil et la pluie faire leur oeuvre. Le résultat?  De beaux fruits juteux. Mais si au contraire nous ne jouerions pas ce petit rôle dans la croissance de l’arbre, nous récolterions de petits fruits durs et amères. (D’après Home éducation – vol. 1, page 134).

Mason évoque ici la pertinence d’inculquer de « bonnes habitudes » aux enfants. A travers la métaphore du pêcher et du jardinier, elle souligne l’intérêt de « cultiver » ces bonnes habitudes: en agissant et faisant « par habitude »,  ils ne subiraient tout simplement plus les harcèlements et autres réprimandes constants des adultes. Vous savez, toutes ces petites choses qui sont pénibles et lassantes et que l’on rabâche aux enfants quotidiennement, que ce soit de ranger vestes et chaussures à l’entrée, les formules de politesse, de débarrasser la table, d’être ponctuel, de se brosser les dents, etc. , etc. L’idée est que l’enfant soit animé par un sens du devoir, qui le fait agir dans le « bon sens » de son plein gré sans l’intervention de l’adulte. Cela rejoint l’idée de « liberté sous l’autorité » dont je parlais la dernière fois…

Pour arriver à cette « coopération » Mason préconise de travailler une habitude à la fois sur une durée de plusieurs semaines. Que l’adulte guide, aide, démontre et accompagne avec douceur, patience et grâce l’enfant dans cet apprentissage jusqu’à ce que l’habitude visée soit acquise. On procède ainsi avec chaque habitudes que l’on voudrait inculquer et avec chaque enfant. Par la suite, notre rôle d’adulte sera de veiller à ce que ces habitudes soient maintenues. Je crois que c’est Sonya Schafer de Simply Charlotte Mason qui compare l’exercice à un numéro d’assiettes chinoises… Plus facile à dire qu’à faire n’est ce pas?

La porteuse d’eau – ou éduquer avec grâce et droiture 

Avez-vous déjà essayé de porter une cruche d’eau sur votre tête? Pour y parvenir, il faut non seulement tenir en équilibre le récipient mais aussi marcher d’un pas agile afin de ne pas le faire basculer…

Pendant mon enfance, j’ai habité en Ethiopie. J’ai encore de très vifs souvenirs des femmes qui portaient ainsi quotidiennement des calebasses remplies d’eau. Elles portaient des charges lourdes sur la tête et bien souvent encore un bébé dans le dos, pourtant elles se tenaient droites, marchaient d’un pas gracieux tout en discutant, riant ou chantant avec leurs accompagnatrices.

C’est exactement cette posture et cette attitude que Mason nous invite à avoir en tant que parent! Elle nous accorde que la charge de l’éducation de l’enfant est lourde à porter, elle est de la responsabilité du parent, mais que nous devrions la porter avec une aisance pleine de grâce et avec droiture. (D’après School Education – vol.3, page 30).

Elle nous met en garde de ne pas oppresser l’enfant avec nos doutes, nos soucis et tergiversations d’adultes et de ne pas chercher à le dominer constamment. Mais d’être un parent confiant en ses capacités, calme, jovial et bon enfant. Elle nous encourage à être omniprésents, à l’écoute et disponibles, tout en sachant nous faire le plus discrets possible pour que l’enfant évolue en quiétude et liberté.

Pas toujours évident pour une personne anxieuse et impatiente comme moi de garder la nonchalance des porteuses d’eau… Mais en travaillant sur moi-même, en pratiquant progressivement l’art de cette « sagesse passive » j’ai déjà vu un grand changement dans mon attitude et dans mes interactions avec mes enfants. Cela fait de moi une maman plus heureuse et épanouie et a rendu  mes enfants plus autonomes et joyeux.

 

A lire aussi: L’inactivité magistrale I: L’enfant et la Nature

 

Tableau de Telemaco Signorini, « Porteuse d’eau à Spezia », 1861-1862. Enrico Galleria d’Arte. Milan

 

9 réflexions sur “L’inactivité magistrale II: Le pêcher et la porteuse d’eau…

  1. Merci Sara, encore un bel article. En effet ces métaphores sont parlantes. Par contre, en pratique, je trouve celà très difficile à appliquer (une seule habitude à la fois, et rester calme et souriante) : des conseils?

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    1. Bonjour Séverine,
      je n’ai pas la prétention de dire que je suis un exemple à reproduire, loin de là! J’ai moi-même beaucoup de mal, surtout avec Louis et son TDA… C’est un éternel casse-tête! Mais voici quelques idées et pistes qui pourraient compléter les tiennes.
      L’habitude, disait CM, peut autant être un serviteur extrêmement bon qu’un très mauvais maître. Plus le temps passe, et plus je me rend compte que j’ai probablement le même trouble que mon fils, les mêmes maladresses, la même tendance à être complètement dans la lune, etc. Je me sentais souvent hypocrite de lui demander de respecter des choses alors que je suis moi-même incapable de m’y tenir! Alors j’ai commencé par là: faire des bonnes habitudes mes serviteurs. J’avance à (très) petits pas, et j’en profite pour emmener mon fils vers les mêmes buts en essayant toujours de renforcer le positif et moins relever ce qui ne va pas (pour lui comme pour moi).
      Cela passe beaucoup par la mise en place de routines. Ce n’est pas facile, car nous avons tous les deux la même difficulté à en automatiser les séquences…Alors une des premières bonnes habitudes que je lui ai inculqué, était de consulter ses routines (planning hebdomadaire) le matin au réveil. Depuis nous travaillons étape par étape de ce planning… Mais c’est fastidieux. Exactement comme quand on fait tourner des assiettes chinoises: si on ne les fait pas constamment tournoyer elles tombent et il faut tout recommencer.
      Nous en sommes à la troisième version de ses routines. Pour la dernière version en date j’ai demandé la collaboration de Louis. Il a choisi sa mise en page et nous avons décidé du contenu ensemble. Il a choisi les « travaux d’intérêts familial » qui ont du sens pour lui et le motivent. Et bien ça marche beaucoup mieux depuis! Il aime avoir des responsabilités.
      Toujours en suivant les préceptes de CM, j’essaye aussi de « dé-habituer » mes enfants à ce que je sois toujours là pour induire le moindre effort ou tâche attendue d’eux, sinon ils attendent tout bêtement que je sois derrière leurs dos avant de se mettre en action. C’est à dire que je prends le temps de discuter avec l’enfant de ce que j’attends de lui, de présenter la chose positivement et de lui assurer mon aide pour y arriver. S’il oublie, je me contente de dire quelque chose comme « Je t’ai promis de t’aider à te souvenir » et si cela ne suffit pas pour qu’il sache de quoi je parle, je lui donne des indices. Le but étant d’amener l’enfant à faire l’effort de trouver par lui même plutôt que de lui dire «  tu étais sensé faire/ tu as oublié de faire ça ». CM pensait qu’en empruntant ce « chemin cérébral » lui même, l’enfant intègrerait mieux l’habitude que l’on souhaite instaurer…
      CM parlait aussi de « conséquences naturelles » aux oublis ou manquements dans l’apprentissage des bonnes habitudes. Ce ne sont pas des punitions ou réprimandes, mais un désagréments provoqué par le comportement « indésirable ». Par exemple, il traine délibérément à faire son travail, la conséquence étant qu’il lui restera peu ou pas de temps pour jouer, il refuse de mettre sa veste, en conséquent il aura froid etc. Mais j’avoue que dans ce domaine je sèche, je n’ai pas encore trouvé de parades à la procrastination…
      Louis a la chance d’avoir une petite aide très précieuse qui connait par coeur toute sa routine: c’est Rose 🙂 Oui, du haut de ses trois ans et demi elle l’aide quotidiennement à se souvenir de ses tâches! Je voudrais bien aussi avoir une petite voix qui me souffle les réponses à chaque fois que je fais fausse route 😉

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  2. Je trouve la métaphore de la porteuse d’eau particulièrement belle. J’aimerais tellement y arriver, au propre comme au figuré d’ailleurs ^^
    Comment se fait-il que tu aies vécu en Éthiopie ? Combien de temps ? Tu en as retiré quoi ? Tu sais toi aussi porter des cruches ou autres sur la tête ?
    En tout cas, comme Severine, concrètement j’ai du mal à inculquer ces bonnes habitudes, même si j’adhère à 100% au principe…

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  3. De mon côté aussi un grand merci pour ce bel article et aussi pour le commentaire sur l' »application ». Comme vous l’écrivez, je crois que le travail sur soi-même est le plus important, il est illusoire – et quelque part « injuste » – d’exiger de ses enfants qqch que nous d’appliquons pas nous mêmes et surtout les résultats seront ce qu’ils seront. Par exemple nous avons passé les vacances de Noêl à ranger, jeter, trier toute la maison pour offrir à tous un espace plus en accord avec nos désirs….
    Nous avons une petite « zerstreute Professorin » à la maison et hier justement je réfléchissais encore une fois à la manière de lui faire acquérir des automatismes pour ces choses de la vie ordinaire – ces routines – qui ne l’intéressent pas… (et pour lesquelles elle a pratiquement encore toujours une aide de dernière minute…) Je pensais justement à faire cela semaine par semaine… en tout cas vos propos me donnent des pistes et réaffirmations.

    Je voulais encore ajouter qqch sur la première méthaphore… lors de la « culture » du pêcher il est important à mon avis de ne faire que ce qui est nécessaire et de donner plutôt les ressources pour que l’arbre puisse se défendre lui-même des parasites et des maladies, pour qu’il puisse grandir harmonieusement et produire de beaux fruits. Vous pouvez comparer à l’agriculture biologique et conventionnelle (c’est spécifique mais mon domaine professionnel :-))
    Une belle journée
    Valérie

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  4. Merci Sara pour ta réponse.

    Plus j’apprends à ce sujet, et plus moi aussi je me rends compte que j’ai probablement transmis à Luc son TDAH. Donc tout ce que tu me dis de ton expérience avec ton fils me parle toujours beaucoup. C’est incroyable comme, sans que nous ne te connaissions autrement que par facebook et ton blog, ton aide est précieuse! Vraiment! Merci…

    Allez, je procrastine depuis bien trop longtemps la mise en place d’un planning (pour moi et pour Luc!), nous allons nous y mettre.

    Par contre je ne sais pas si tu as aussi ce problème : Luc sait faire baucoup de choses, il sait aussi ce qu’il doit faire mais il me dit : « je n’aime pas être seul. Je n’ai pas besoin de ton aide, mais j’ai besoin que tu sois avec moi ». Ce qui n’est pas toujours possible.
    Si quelqu’un a des idées, je prends.

    Encore merci.

    Séverine.

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  5. Merci pour cet article. C. Mason nous remet tellement en question! j’aimerais pouvoir mettre sur pause et m’attaquer à mes propres difficultés avant de pouvoir reprendre avec les enfants.. mais je vois aussi que ce sont les enfants qui révèlent mes faiblesses.

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